Réseau Droit social France-Japon

Le 20 mars 2024 de 14h à 16h au Comptrasec, Yukie Hihara, Maîtresse de conférences à l’Université de Yamagata (Japon), interviendra sur “Le harcèlement au travail : comparaison des approches juridiques entre les droits japonais, français et canadien”.

Depuis le début des années 2000, un certain nombre de pays ont pris en compte le harcèlement (sexuel et moral) au travail dans diverses branches du droit et en convoquant différents principes juridiques. Au travers de la comparaison des systèmes japonais, français et canadien, le but de cette intervention sera de saisir les évolutions et caractéristiques du droit du harcèlement au travail au gré de différentes approches juridiques et de récentes réformes.

La 5ème rencontre a eu lieu le le 24 mai, de 10h30 à 12h30 (17h30-19h30 heure japonaise).

Yoshiharu Toya, (Maitre de conférences, Université de Ryukyu, faculté de droit et des lettres), est intervenu sur “Les enjeux du droit du travail japonais face du développement de l’économie des plateformes”.

Isabelle Daugareilh (Directrice de recherche au CNRS, Comptrasec), a présenté le point du vue des droits français et européen.

Résumé

Le professeur Yoshiharu TOYA, professeur de l’Université de Ryukyus, Okiwana a présenté une analyse sur les travailleurs utilisant des plateformes WEB au regard du droit du travail.

Après avoir présenté des données chiffrées sur le travail assuré via des plateformes au Japon, le professeur Toya s’est attaché à dresser une typologie des catégories de salariés en droit japonais nous donnant à voir que ces catégories varient dans leur caractérisation selon les textes du droit du travail mobilisés. Ainsi les critères du salariat changent selon qu’il s’agit de la loi sur les relations individuelles ou de celle relatives aux relations collectives de travail. Selon le rapport du ministère du travail de 1985 les critères ou les indices du contrat de travail du point de vue individuel porte sur la liberté de refuser ou non les instructions données par l’autre partie à la relation, l’appartenance ou non du travailleur à la communauté de travail de l’entreprise, la gestion par l’employeur du temps de travail et des lieux de travail, la faculté de sous-traiter ou non le travail, le mode de rémunération (temps/pièce). S’agissant des relations collectives les indices diffèrent et portent sur l’appartenance ou non à la communauté de travail de l’entreprise, la détermination unilatérale ou non des termes et des conditions de travail, la faculté d’opposer un refus à l’autre partie à la relation, la gestion du temps et des lieux de travail par l’employeur, le mode de rémunération distinct de celui des salariés. Le professeur Toya souligne que la loi sur les syndicats a une acception plus large et plus souple du salariat. La qualification d’employeur est une conséquence de l’application de la loi sur les syndicats ou bien résulte du fait que le dirigeant de l’entreprise a un pouvoir de décision réel et concret sur les conditions de travail. La qualification de la relation contractuelle entre un travailleur et la plateforme n’a pas encore été à l’origine d’action judiciaire au Japon contrairement à d’autres pays dont la France. Le débat est cependant porté par la doctrine.

Dans un deuxième temps le professeur Toya a traité des liens et des distinctions entre le droit du travail, droit économique et droit de la concurrence afin de situer le champ sur lequel se trouve le travailleur indépendant ou free-lance de plateforme et par-delà de déterminer ses droits individuels et collectifs. Dans des lignes directrices de 2021, le ministère du travail indique que si le travailleur free-lance effectue son travail sous la direction de l’entreprise cliente alors la loi sur les relations individuelles et celle sur les relations collectives s’appliquent. Ainsi les actes syndicaux de ce travailleur relèvent de la loi sur les syndicats et ne peuvent pas être soumis à la loi anti monopole ou à celle sur la sous-traitance.

Le professeur Toya a enfin présenté deux actualités juridiques récentes sur les travailleurs de plateforme au Japon. D’une part une ordonnance de la Commission des relations du travail de Tokyo du 15 novembre 2022 a décidé que les livreurs de repas de plateforme numérique sont des salariés au regard de la loi sur les syndicats. La plateforme Uber ayant en l’occurrence le pouvoir réel et concret de contrôler et décider des conditions de travail, elle doit accepter de bonne foi la demande d’ouverture de négociations par les travailleurs. D’autre part, une loi a été adopté en avril 2023 pour l’amélioration des relations de free-lance apporte des protections nouvelles en interdisant au client du free-lance sous peine de sanctions de :

-refuser de réceptionner le produit du travail sans motif imputable au travailleur
-réduire la rémunération pour des raisons non imputables au travailleur
-renvoyer la marchandise sans motif imputable aux travailleur
-fixer un prix nettement inférieur à celui du marché
-obliger l’achat de biens ou l’utilisation de services désignés par le client sans raison
-fournir de l’argent, des services ou autres avantages économiques au client
-faire modifier le travail réalisé sans raison imputable au travailleur.

Isabelle Daugareilh, Directrice de recherche au CNRS est intervenue sur chacun des trois ensembles traités par le professeur Toya pour mettre en exergue des points de divergence et de ressemblance entre les deux systèmes juridiques vis-à-vis des travailleurs de plateformes. Cependant en préalable elle a souligné qu’en droit français les free-lance font partie du vaste ensemble des travailleurs indépendants et qu’ils ne jouissent à cet égard d’aucune législation sociale particulière contrairement au Japon.

Isabelle Daugareilh a présenté les grands traits de l’encadrement juridique des travailleurs de plateforme en France mettant en avant qu’ils sont considérés comme des travailleurs indépendants bien que la plateforme fixe le prix (et ses modalités) ainsi que les caractéristiques de la prestation de service et  que ceci est source de responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs et que cela justifie la reconnaissance et la création d’un dialogue social.

S’agissant du champ d’application personnel du droit du travail en France et de sa binarité Isabelle Daugareilh rappelle que cela est le fait à titre principal d’une construction prétorienne et à titre secondaire le fait du législateur. Elle dresse un inventaire historique de la jurisprudence de la Cour de cassation sur les critères de la subordination juridique mentionnant au passage la différence avec le droit japonais tel que décrit par le collègue Toya. Pour ce qui est des travailleurs de plateforme ils sont, du fait de leur immatriculation au registre du commerce sous le régime des autoentrepreneurs/micro-entrepreneurs soumis à l’existence d’une présomption simple d’indépendance qui ne peut être renversée que par l’apport de la preuve contraire qui est à la charge du demandeur à savoir le travailleur lui-même. Isabelle Daugareilh fait état de la jurisprudence civile sur les demandes de requalification par les travailleurs de plateforme établie par la Chambre sociale et la chambre commerciale de la Cour de cassation, ainsi que de la jurisprudence pénale. Elle termine en faisant état des aménagements apportées à l’indépendance de ces travailleurs du point de vue des droits individuels et collectifs, relevant à ce propos leur caractère faussement nouveau et/ou faussement protecteur.

S’agissant du dialogue social des plateformes on pourrait convenir d’une convergence entre le droit japonais et le droit français, chacun d’eux reconnaissant des droits syndicaux et par-delà de négociation collective à une partie de travailleurs indépendants. Isabelle Daugareilh précise ici comment sont traitées par le législateur français les points de friction possibles entre le droit du travail et le droit de la concurrence et comment le rapport de Jean Yves Frouin a éludé d’un quasi revers de main cette conflictualité normative potentielle. Isabelle Daugareilh invite par ailleurs à s’interroger de manière critique sur le fondement, le sens et la portée de la reconnaissance de droits collectifs à des travailleurs indépendants au regard de chacun des droit nationaux et du droit international du travail.

Isabelle Daugareilh a ensuite présenté une rapide analyse des lignes directrices de l’Union européenne sur la négociation collective des travailleurs indépendants solo adoptées fin 2022 dont le champ d’application personnel va bien au-delà des travailleurs de plateforme, ce qui donne à ce texte une portée technique et théorique unique sur le plan européen ouvrant des perspectives nouvelles et des réponses innovantes face au déploiement des formes atypiques d’emploi et à leur diversification continue dans cette zone grise occupée de plus en plus souvent par des catégories nouvelles de travailleurs indépendants et non plus salariés.

Des discussions se sont poursuivies avec les autres participants du séminaire franco-japonais.

La quatrième rencontre du réseau droit social France-Japon a eu lieu le vendredi 30 septembre 2022, entre 10h-12h à l’heure française. (17h-19h à l’heure japonaise).

Intervenant : Masahiko IWAMURA (Professeur émérite à l’Université de Tokyo)
« La sanction contre l’employeur ayant manqué à l’obligation de négociation collective de bonne foi
: une évolution significative du droit de la négociation collective »

Discutant : Jérôme Porta (Professeur de l’Université de Bordeaux, COMPTRASEC)

La troisième rencontre du réseau droit social France-Japon s’est tenue le vendredi 4 février 2022 en visioconférence, entre 9h30 et 11h30 heure française. (17h30-19h30 heure japonaise).

Intervenante : Eri Kasagi (Université de Tokyo, CNRS)
«Actualité juridique au Japon : Élargissement de la possibilité de l’affiliation volontaire à l’assurance d’indemnisation des ATMP pour les travailleurs indépendants»

Discutante : Laure Camaji  (Université Paris sud)

Résumé
* Pour le détail, voir Eri KASAGI, « Actualité juridique – Japon – », Revue du droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2022, n.1.

Au Japon, l’assurance pour l’indemnisation des ATMP couvre uniquement les travailleurs salariés ayant conclu un contrat de travail et soumis à la loi sur les normes du travail (rodokijyunho, article 9). Le droit japonais n’étant pas doté de dispositifs d’extension légale comme en droit français (L. 311-3 du Code de la Sécurité sociale), les travailleurs qui n’entrent pas dans la catégorie des travailleurs salariés, sont totalement exclus de l’affiliation obligatoire de l’assurance des ATMP. En 2022, deux décrets ministériels ont élargi la possibilité pour les travailleurs indépendants de s’assurer volontairement, en cotisant eux-mêmes pour bénéficier de l’indemnisation en cas d’ATMP. Si cet élargissement témoigne, en partie, de la volonté du gouvernement de réagir aux changements contemporains des modes de travail et d’élargir la protection contre les ATMP aux travailleurs indépendants, cette mesure reste très modeste en comparaison avec le droit français qui offre une possibilité d’affiliation volontaire à tous les travailleurs indépendants qui le souhaitent.

Notre intervention a présenté premièrement la raison de ce relatif manque d’ouverture de l’assurance ATMP japonaise en remontant l’origine historique de ce système. Deuxièmement, tout en décrivant le détail des réformes récentes, nous avons évoqué la forme collective (v. l’article précité pour le détail) que prend cette affiliation volontaire, qui témoigne de la volonté de législateurs successifs de lier l’indemnisation des ATMP à l’obligation d’adopter des mesures de prévention. Si l’élargissement de l’affiliation volontaire représente un changement important dans le contexte japonais, il contient les limites, le système ne se démarquant pas assez nettement de l’assurance privée et manquant le but crucial d’imposer des actions de prévention.

Les commentaires de Laure Camaji sur l’affiliation à l’assurance ATMP en France ainsi que sur la responsabilité sociale des plateformes numériques de travail concernant l’affiliation volontaire des travailleurs indépendants nous ont permis de conduire les discussions et réflexions collectives sur différentes questions d’actualité de droit social. Notamment, l’efficacité du dispositif de l’affiliation volontaire comme mode de protection pour les travailleurs indépendants s’avère finalement limitée, non seulement au Japon comme nous l’avons évoqué plus haut mais aussi en France (en particulier pour les travailleurs des plateformes). Dans ce contexte, la question doit se poser du lien entre la relation contractuelle du travail (ou l’état de subordination qui la définit) et l’affiliation obligatoire à l’assurance d’indemnisation ATMP. Si ce lien est assez strictement maintenu dans le droit japonais, le droit français se montre moins strict, par exemple en ouvrant l’affiliation obligatoire aux travailleurs indépendants légalement assimilés aux travailleurs dépendants, ou en développant la responsabilité sociale des plateformes numériques de travail. Pour autant, le système français ne fournit pas de réponse théorique et pertinente à la question de savoir « qui a réellement besoin de la couverture obligatoire de l’assurance ATMP » ni n’apporte de justification ou d’assise théorique à la généralisation de cette couverture dans le monde de travail contemporain.

La deuxième rencontre du réseau France/Japon s’est tenue le vendredi 15 octobre 2021 de 10h-12h (heure française, 17h-19h heure japonaise).

Intervenante : Hitomi Nagano (Université Sophia)
“Contrôle juridictionnel des décisions ministérielles entraînant une réduction du montant des prestations d’aide sociale : Réflexions sur deux décisions récentes au Japon”

Discutante : Claire Magord

Lors de cette séance de rencontre et discussion entre juristes japonais et français, nous avons pu échanger des éléments de comparaison et des réactions à propos du thème suivant :

Le contrôle juridictionnel du pouvoir ministériel de réduction des montants des prestations d’aide sociale.

Mme Hitomi Nagano nous a présenté ses réflexions à propos de plusieurs décisions récentes rendues par différents tribunaux départementaux japonais concernant la diminution du montant de prestations de vie minimum dans le début des années 2010 au Japon.

Afin de contextualiser ces décisions, Mme Nagano a tout d’abord décrit le système d’aide sociale japonais notamment en détaillant le « critère de protection » qui permet d’évaluer le niveau de vie des destinataires des prestations et de fixer en conséquence le montant de l’aide qui leur sera allouée.

Elle a pu ensuite expliquer qu’à partir de 2013, le pouvoir exécutif a décidé de réduire le montant de la prestation de niveau de vie minimum après une déflation et le constat d’un écart important entre le niveau de la consommation des ménages précaires et celui de l’aide alimentaire.

Cette diminution du montant de l’aide sociale a entraîné des saisines de plusieurs tribunaux départementaux pour contester la décision ministérielle. S’appuyant sur un même arrêt, rendu en 2012 par la Cour suprême, les différents tribunaux qui ont déjà pu rendre leur décision, se sont parfois prononcé de manière totalement contradictoire quant à l’appréciation de l’étendue du pouvoir discrétionnaire du ministre en matière de réduction du montant de l’aide sociale. Cette variété d’interprétations témoigne selon Mme Nagano de la difficulté pour le pouvoir juridictionnel d’encadrer strictement le pouvoir exécutif dans ce domaine.

Les décisions de la Haute Cour et de la Cour Suprême attendues sur cette question apporteront sans doute des éclairages précis quant à ce pouvoir que détient le ministre de réduire le montant des aides sociales au Japon.

＊Mode de calcul de l’aide sociale pour les personnes en situation de précarité（en avril 2021）et explication  (par H. Nagano)

Après la présentation de Mme Nagano, Mme Claire Magord a réagi en proposant quelques premiers éléments de discussion :

La comparaison du système français avec le système japonais, quant au contrôle du pouvoir de modulation des montants des prestations d’aide sociale détenu par le pouvoir exécutif, ne peut être conduite sans constater les différences de contexte significatives entre les deux pays. La France n’a notamment jamais connu de déflation depuis la deuxième guerre mondiale. Aucune diminution du montant d’une prestation d’aide sociale n’a donc été engagée de ce fait.

En revanche, exceptionnellement, en 2017, le pouvoir exécutif a décidé d’appliquer une réduction forfaitaire du montant des aides personnalisées au logement. Il s’agissait d’un choix politique destiné à réduire le coût de la prestation pour le budget public. Le Conseil d’État, juridiction de cassation de l’ordre administratif, avait rejeté les recours en référé et au fond formés par différentes associations et syndicats qui contestaient la légalité de cette mesure. La juridiction avait notamment rendu au fond une décision courte dans laquelle elle prenait soin d’écarter les nombreux moyens développés par les requérants.

D’autres manifestations des marges de manœuvre dont dispose le pouvoir exécutif pour moduler les montants des prestations d’aide sociale sont identifiables quand ce dernier décide des augmentations (ex. du RSA et de l’ASPA, et plus récemment de l’AAH). Ces hausses discrétionnaires des montants de base des prestations d’aide sociale, décidées par stratégie politique, doivent cependant être relativisées par les conséquences de mesures parallèles, moins affichées et plus techniques, qui elles, affectent à la baisse le montant global perçus au final par les bénéficiaires.

De nombreuses personnes ont ensuite réagi à ces deux présentations, montrant notamment l’importance du sujet dans l’actualité juridique et sociale japonaise.